Naissance d’une conscience patrimoniale

John Ruskin, les 7 lampes de l’architecture (coll. part)

John Ruskin, dessin d’un gâble gothique © Google

Eugène Viollet-le-Duc en 1844 © Médiathèque de l’architecture et du patrimoine MAP

Doctrine : Viollet-le-Duc et Ruskin

Benjamin Mouton

Controverse ?
Viollet-le-Duc était architecte, John Ruskin peintre, chacun profondément attaché au patrimoine architectural. Leur « controverse » révèle cette différence du regard.

Pour Ruskin, il faut préserver impérativement la matière historique sans y porter atteinte même si l’édifice doit disparaître. « La conservation des monuments du passé n'est pas une simple question de convenance ou de sentiment. Nous n’avons pas le droit d’y toucher ». Pour Viollet-le-Duc, il s’agit de préserver l’édifice de sa dégradation, et d’assurer sa survie par l’entretien et la restauration.

L’un et l’autre condamnaient les restaurations maladroites et les praticiens incompétents. En réalité, il y avait une estime réelle :
« Mon cher garçon, il n’existe qu’un seul livre de valeur sur l’architecture, et il contient tout avec rectitude : c’est le dictionnaire de monsieur Viollet-le-Duc… mes livres sont historiques et sentimentaux, et tout à fait convenables à leur manière... » John Ruskin à un jeune homme, le 2 mars 1887.

La doctrine de Viollet-le-Duc
L’article « restauration » du « dictionnaire » de Viollet-le-Duc commence par : « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé ».

Mais il faut poursuivre la lecture :
Chaque cas est particulier « Lorsque des monuments d’une certaine époque ont été réparés à diverses reprises », doit-on « rétablir l’unité de style dérangée, ou reproduire exactement le tout avec les modifications postérieures ? L’adoption absolue d’un des deux partis peut offrir des dangers et il est nécessaire au contraire d’agir en raison des circonstances particulières ». Viollet-le-Duc n’est pas dogmatique mais pragmatique.

Principe d’harmonie et d’intégration « S’il s’agit de refaire à neuf des portions de monument dont il ne reste nulle trace… c’est alors que l’architecte chargé d’une restauration doit se bien pénétrer du style propre du monument dont la restauration lui est confiée ». Il s’agit de « d’intégration» et « d’harmonie ».

Primauté de l’analyse architecturale « Il est, en fait de restauration, un principe dominant dont il ne faut jamais et sous aucun prétexte s’écarter, c’est de tenir compte de toute trace indiquant une disposition. Décider d’une disposition a priori sans s’être entouré de tous les renseignements qui doivent la commander, c’est tomber dans l’hypothèse, et rien n’est périlleux comme l’hypothèse dans les travaux de restauration ».

Le maître mot de Viollet-le-Duc :
« … le mieux est de se mettre à la place de l’architecte primitif, et de supposer ce qu’il ferait si, revenant au monde, on lui posait les programmes qui nous sont posés à nous-mêmes ».

Une rigueur prémonitoire
Viollet-le-Duc revendiquait une analyse rigoureuse des données structurelles et architecturales, privilégiant la valeur architecturale à la valeur historique. Il s’imposait la compréhension du projet initial de l’architecte, et les apports de ses successeurs. Il est dans la ligne moderne de la « conservation critique », et les notions d’harmonie, le refus de l’hypothèse, le rapprochent de la Charte de Venise et des doctrines contemporaines.

John Ruskin, Venise, Palais des Doges © Ashmolean Museum, Oxford

Viollet-le-Duc, Venise, Palais des Doges © MAP

Viollet-le-Duc. Etude constructive d’un palais vénitien © MAP

Viollet-le-Duc. Temple de Paestum, 1836 © Musée d’Orsay

Viollet-le-Duc à sa table de travail. Geoffroy-Dechaume, 1880 © CAPA